Les canonnières, qu'est ce que c'est ?
Décrire et comprendre les ouvertures pour armes à feu n’est jamais aisé, car le vocabulaire descriptif qui les concerne est encore aujourd’hui relativement flou, c’est pourquoi nous proposons ici de revenir sur quelques bases, tant au niveau morphologique que sémantique. Les embrasures de tir pour armes à feu ont aujourd’hui plusieurs appellations. Ainsi, les termes « bouches à feu », « rayères » ou « canonnières » désignent l’ensemble des embrasures de tir servant à l’usage au moins ponctuel d’armes à feu, sans distinction typologique. Le terme canonnière est toutefois ambigu, car il désigne, dans le vocabulaire commun, tantôt la famille des ouvertures à évasement, tantôt l’ensemble des embrasures relatives aux armes à poudre. Ici, lorsque le terme « canonnière » désignera un ensemble d’ouverture précis, la particularité morphologique de cet ensemble sera ajoutée (par exemple « canonnière à évasement ») lorsque ce terme sera employé seul, il désignera l’ensemble des ouvertures de tir pour arme à feu.
Avant de débuter cette courte introduction aux bouches à feu, il nous faudra clarifier le vocabulaire que nous utiliserons décrire ces ouvertures, ce vocabulaire sera le suivant :
-Façade: Désigne la partie de l’ouverture visible à l’extérieur du bâtiment dans lequel elle se trouve.
-Niche de tir : Désigne la chambre dans laquelle le tireur se place pour opérer son tir, à l’intérieur du bâtiment.
-Bouche de tir : Ouverture circulaire ou quadrangulaire par laquelle l’arme est introduite afin d’opérer le tir.
-Mire/Fente : Ouverture linéaire placée au-dessus de la bouche afin de permettre la visée et l’évacuation des fumées produite lors du tir.
-Évasement : Élément permettant la jonction entre la bouche de tir et la façade de l’ouverture.
-Joues : Parois latérales de l’évasement
-Ébrasement : Élément permettant la jonction entre la bouche de tir et la façade de la niche de tir.
-Hauteur Bouche-Sol : Distance (en centimètre) entre la partie basse de la bouche de tir et le sol de la niche, c’est grâce à cette mesure (et au diamètre de la bouche) qu’il est possible de connaitre l’arme utilisée dans l’ouverture.
Les grandes familles d’ouvertures de tir pour armes à feu sont assez peu nombreuses, on les reconnait principalement par le(s) type(s) d’arme(s) qu’elles utilisent.
-Les fenêtres-canonnières :
Probablement la famille la plus ancienne de bouche à feu, elle concerne des baies dans lesquelles ont été aménagées de petites ouvertures afin d’y utiliser l’arme à feu. Les fenêtres-canonnières sont souvent difficiles à dater, car on en trouve depuis la seconde moitié du XIVe siècle jusqu’au début du XVIIe siècle.
Ci-contre : L'une des fenêtres
-canonnières du château de
Belvoir dans le Doubs, vue
intérieure (à gauche) et
extérieure (à droite)
(Source : M. Messner 2016.)
-Les archères-canonnières :
Il s’agit dans la grande majorité d’anciennes archères qui ont été adaptées à l’arme à feu dans une période comprise entre la fin du XIVe siècle et la seconde moitié du XVe siècle. Ces ouvertures sont caractérisées par l’usage simultané de l’arc et d’armes à feu de gros calibre. Elles sont donc souvent placées en hauteur (l’arc est peu efficace en tir tendu) et possèdent une mire haute ainsi qu’une bouche de fort calibre.
Ci-contre, les archères-canonnières
du château de Loches (Indres-et-Loire)
(Source : T. Levillain 2016.)
-Les arbalétrières-canonnières :
Comme leur nom l’indique, ces formes se caractérisent par un abandon progressif de l’usage de l’arc dans les années 1415 à 1450, relatif à l’abaissement des ouvertures au pied des fortifications ou au fond des fossés. Ce phénomène est principalement inhérent au fait que les armes à feu sont beaucoup plus efficaces en tir tendu, contrairement à l’arc. Ce dernier va donc se voir progressivement remplacé par l’arbalète, beaucoup mieux adaptée à ce type de tir. Cela entrainera une nette réduction de la taille de la mire pour ces ouvertures, caractère grâce auquel l’on reconnaitra les arbalétrières-canonnières.
Ci-Contre : l'une des arbalétrières-
du château de Chatel-sur-Moselle
dans les Vosges (Sources : V. Muller 2016)
-Les arbalétrières arquebusières :
Le phénomène de réduction de la taille des mires va peu à peu se poursuivre et donnera lieu à type d’ouverture nommé « arbalétrière-arquebusière », caractérisée par une mire très fine (mais toujours aussi haute), dans laquelle l’usage de l’arbalète est presque impossible.
Ci-contre : Une des arbalétrières-arquebusières
de la tour de Bonvouloir (Orne)
(Source : M. Spielman 2016.)
-Les canonnières à évasement :
Avec l’amélioration de l’armement contemporain et l’apparition d’armes portatives efficaces, les ouvertures de tir vont peu à peu se spécialiser dans la seule arme à feu. Ce phénomène aura pour conséquence la disparition progressive (mais pas systématique) des mires et, par la même occasion, de l’utilisation systématique des armes à corde. Si le type « arbalétrière-canonnière» sera construit au moins jusqu’aux guerres de religion dans les fortifications royales, il sera toutefois utilisé en parallèle d’autres formes, répondant mieux à la spécialisation progressive de l’armement.
Dans les années 1450/1460, les ouvertures de tir vont évoluer vers une forme d’orifice plus spécialisé, de plus en plus enfoncé dans la maçonnerie : la « canonnière à évasement simple ». Ce type d’ouverture se présente sous la forme d’une bouche de tir située sur le parement interne du mur et reliée au parement externe par un évasement.
Ci-contre : Une canonnière à évasement simple
du château du Hohenbourg dans le Bas-Rhin
(Source : F. Sidan 2015)
-Les canonnières à double ébrasement
Les canonnières, de plus en plus évasées, évoluent ensuite vers une forme, qui perdurera au moins jusqu’au XVIIIe siècle, appelée « canonnière à la française » ou « canonnière à double ébrasement ». Comme son nom l’indique, cette forme apparait en France dans les années 1470 et se répand en Italie et dans la Bourgogne royale. La canonnière à la française est caractérisée par un plan dit à double ébrasement ou en « X ». Dans ce type de plan, la bouche de tir situe, peu ou prou, au milieu de l’épaisseur de la maçonnerie. Cette forme permet de rapprocher l’œil et la main du tireur de la bouche de tir (et ainsi de permettre une meilleure visée), mais surtout d’augmenter sensiblement la solidité de l’embrasure, puisque l’ouverture pratiquée dans la maçonnerie est moins large. Peu à peu, les ouvertures en « X », dont l’ébrasement et l’évasement se rejoignent au milieu de la maçonnerie, sont remplacées par une forme à chambre de tir quadrangulaire et à évasement. Cette dernière forme, si elle conserve tous les avantages inhérents au plan en « X »
permet en plus de proposer un espace plus large pour le tireur, lui permettant de se protéger ou d’entreposer ses munitions.
Ci-contre : Une des canonières à double ébrasement
du château de Couzage en Corrèze
(Source : C. Beauval 2016.)
-Les arquebusières-mousquetières
Avec l’apparition d’armes portatives plus performantes, et surtout plus légères à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle, les ouvertures de calibres plus réduits se répandent. En référence à l’armement contemporain, nous appellerons ces ouvertures « arquebusières-mousquetières ». Le plan des arquebusières-mousquetières est toujours réalisé en ébrasement simple, dans des maçonneries très peu épaisses ne permettant qu’une résistance limitée aux tirs adverses. Alors que les ouvertures les plus anciennes permettaient une utilisation complémentaire des armes de moyens et de petits calibres, les arquebusières-mousquetières interdisent cette complémentarité, essentiellement par le diamètre réduit de leurs bouches de tir. La morphologie de ce type d’ouvertures est très variée, souvent ornée et décorée, elles se caractérisent cependant toujours par une bouche de tir d’un calibre très réduit (entre 6 et 10cm).
Ci-contre : Une arquebusière-mousquetière du
château de Frasnes-le-Château en Haute-
Saône (Source : N. CHauvy, M.Messner 2015.)
-Les canonnières à plan complexe
Dans une période qu’il est difficile de définir apparaissent d’autres ouvertures pourvues d’évasements et de chambres de tir multiples. Ces ouvertures, appelées « ouvertures à plan complexe » sont rares et difficiles à caractériser, c’est pourquoi il s’agit d’une catégorie d’ouvertures à part entière qu’il est presque impossible localiser dans le temps.
Ci-contre : La canonnière à plan
complexe de la maison forte de Jouhe dans le Jura (Source : J. Brochot 2015.)
En plus de ces grandes familles d’ouvertures, de nombreux types et sous-types peuvent être différenciés. Présenter de façon exhaustive ces sous-types serait toutefois extrêmement complexe et ce site n’est pas le lieu pour le faire. À ceux qui désireraient aller plus loin dans la connaissance des ouvertures de tir pour armes à feu, nous vous renvoyons à quelques liens en bas de cette page. De plus, afin de synthétiser les grands types que nous avons pu rencontrer au fil de nos recherches, nous présenterons le tableau de synthèse suivant.